Un jour comme bien d’autres, j’arrivais une fois encore au Portugal passer quelques jours avec « mon » Miguel qui était venu me chercher à l’aéroport. Dans la voiture qui nous ramenait à Setúbal il me dit : « toi qui aimes les poissons, tu vas être heureuse, il y en a beaucoup à la maison. » Et moi, de penser : « oh la la ! ça va sentir très mauvais… » mais ou bien on épouse un homme avec tout son contexte, ou bien on ne l’épouse pas. De sorte que l’odeur et les poissons me sortirent complètement de la tête. Nous dînons au petit bistrot près de chez nous, nous rentrons nous coucher et au moment où j’allais ôter mon chandail, il me prend la main et m’emmène dans le petit hangar fermé, en face de la maison. Là m’attendaient « au garde à vous » des poissons séchée et peints, calés contre des bocaux, d’autres pendaient du plafond; il y en avait de toutes les couleurs, certains posés sur des étagères d’autres sur des pierres…partout. Nous entrons et toutes ces petites merveilles me sautent aux yeux : « oh! Miguel…mais c’est merveilleux ». Rien d’autre… : sa vocation était née. Et toute rêveuse je pensais à la responsabilité qu’on a envers des êtres aussi simples : si j’avais dit : « quelle horreur » ou encore « ça ne vaut rien », dans sa déception il aurait tout mis à la poubelle. Que de joies et d’éblouissements auraient alors été définitivement perdus.
Dès le début, à nos moments perdus, à Setùbal, Miguel et moi allions nous promener. Un jour Miguel m’emmène à la décharge et nos yeux errent sur toutes ces choses inutiles qui rouillent ou pourrissent recouvertes de temps à autres par de l’herbe. A un moment ses yeux tombent sur un vieux pinceau qui n’avait plus que trois ou quatre poils et il le ramasse. Jusque là, il peignait avec une des plumes de ses pigeons et un clou pour les pointillés. Dans mon innocence, je pensais que cela lui suffisait, mais quand j’ai vu sa joie d’avoir trouvé ce pauvre vieux pinceau, je lui en ai acheté un tout neuf…et il jubilait : « maintenant qu’elle m’a donné un pinceau, ça change tout ! » Et je songeais, rêveuse, à la responsabilité qu’on a quand on côtoie des êtres aussi simples.
Bien plus tard, quand au bout d’au moins 20 ans et même plus, de temps en temps il prenait deux petits pots de peinture et me disait : « qu’est ce que tu penses, je mets ce bleu ou ce vert ? » Et moi de chercher à l’aider à trouver tout seul tout en faisant semblant de lui donner mon avis… »Je vais mettre celui-ci », finissait-il par dire en posant la main sur un troisième petit pot.